Odette Boyer Chantoiseau
De la figuration vers l’abstraction
Exposition organisée par la Galerie Guyenne Art Gascogne du 4 novembre au 30 décembre 2017 au 32 rue Fondaudège à Bordeaux
• Invitation au lancement de la première partie de l’exposition le samedi 4 novembre à 16h30
La galerie Guyenne Art Gascogne présente, à partir du samedi 4 novembre 2017, un ensemble d’œuvres d’Odette Boyer Chantoiseau, peintures, gouaches et dessins. Née en 1907, Odette Boyer fait partie de cette génération d’artistes, tels Edmond Boissonnet ou Maurice Pargade, qui suivirent à Bordeaux, dans les années 1927 – 1930, les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, sous la direction de Maurice Roganeau. Dans la ligne de son entourage familial, Odette Boyer porte haut la notion d’art ; son désir est de se consacrer à la peinture, de passer le concours de la Villa Médicis. Son mariage en 1931 la fixe pourtant à Bordeaux où elle poursuivra désormais sa carrière d’artiste.
En 1928, elle participe à la naissance de la société des Peintres Indépendants bordelais avec lesquels elle expose jusqu’à la dissolution du groupe en 1955, moment de son adhésion à Structures, mis en place par les tenants de l’art abstrait. D’Espagne, à la fin des années 1920, elle ramène ses premières pochades au dessin rapide et aux couleurs intenses dont elle garde la marque expressive dans ses paysages, nus, portraits et scènes religieuses. Pourtant, au tournant des années 1930, ses vues du Bassin d’Arcachon, d’une légèreté de tons nouvelle, la rapprochent de la poétique de Marquet.
Les années d’après la Seconde Guerre mondiale voient apparaître, et jusqu’à Bordeaux, la dispute entre les tenants de l’abstraction et ceux d’une figuration expressive. Sans prendre parti, Odette Boyer structure alors ports et natures mortes d’un facettage de plans inclinés, dans la droite ligne du cubisme cézannien. Boissonnet et Pargade sont à ses côtés et Lhote n’est pas loin.
En 1950, la rencontre de Roger Bissière va durablement marquer sa vie. Conduite à Boissiérette par son ami, le peintre Marcel Bach, Odette Boyer est d’emblée éblouie par le personnage et son œuvre, indissociables.
Bouleversée par la modestie de l’homme, incarnation même de l’humilité à laquelle elle-même aspire, « le cœur battant », Odette Boyer n’en poursuit pas moins son propre chemin, entre figuration et abstraction, dans un doute que le prix régional de la Jeune Peinture en 1951 ne vient pas apaiser. Elle écoute ses amis, montre ses travaux à Bissière, Manessier, Jean-Maurice Gay, le grand abstrait bordelais, à Boissonnet aussi, qui, en 1956, est catégorique devant ses Filets rouges, « seule toile valable depuis le début jusqu’à ce jour. »
Grâce à un travail acharné d’études à l’encre, au dépouillement progressif des formes, à la sauvegarde de la ligne devenue pur rythme, elle fait sien le parcours intérieur de Bissière jusqu’à hisser sa communion avec la nature à un niveau quasi mystique.
Odette Boyer se sent désormais chez elle, et les années 1955 – 1965 sont des années d’une grande ferveur créatrice, un hymne à la nature dans l’envolée colorée des touches, au grès des saisons et de son émotion, rejoignant dans sa trajectoire les grands abstraits élèves de Bissière, sa « vraie nature » écrit-elle en 1954, Bazaine, Manessier, Le Moal et à Bordeaux Victoire-Elisabeth Calcagni.
Après le décès de son époux, en 1965, dans le silence et le dépouillement d’une retraite religieuse désirée, Odette Boyer élèvera son œuvre au chant religieux, dans les vitraux et les œuvres sacrées en cuivre et étain qu’elle réalise.
• Invitation au lancement de la seconde partie de l’exposition, qui mettra en scène les œuvres sur toile et sur papier de Odette Boyer ainsi que les œuvres céramiques de sa fille, Maïté Fouquet Chantoiseau :
L’héritage de la forme
le mercredi 29 novembre à 18h30
Dans une vitrine du séjour, Maïté Fouquet-Chantoiseau a installé un ensemble de poteries anciennes. C’était dans ces plats qu’était servi le repas, de ces cruches que coulait l’eau fraîche. Certaines sont vernissées d’un vert brillant, d’autres ont la matité de l’ocre. Dans un geste de tendresse empreint de piété filiale, Maïté reconnaît en ces objets de l’ordinaire l’expression même de la beauté, une beauté baignée d’humilité, telle que sa mère la concevait avec ferveur.
L’empreinte dans sa mémoire des gestes familiers à travers ces vestiges d’autrefois et la remontée du serment qu’un jour elle travaillerait la terre, bouleversée, à douze ans, devant les créations d’une femme potier, resurgirent en injonction : en 1991, à cinquante ans, Maïté renonce à l’architecture et commence à malaxer la glaise.
Après les faïences de l’apprentissage, l’artiste travaille le grès, dont elle aime évoquer la solidité, la pureté, la pérennité, la fusion de l’émail avec la terre qui ne semblent faire plus qu’un, après la cuisson à haute température.
Maïté Fouquet-Chantoiseau modèle l’argile à la main, « à la plaque », un torchon épais posé sur une table lisse, retenu par des tasseaux de bois. Pour les pièces de grand format, elle se sert de différents ustensiles comme moule, de différents appuis pour les formes plus chantournées. Chaque potier a ses recettes, ses secrets. La matière au séchage devient ferme et peut sans dommage subir une première cuisson, le biscuit, puis, après émaillage, une seconde cuisson à four plus chaud, suivi ou non de l’enfumage.
Son expérience lui permet aujourd’hui de travailler les émaux sans suivre ses références minutieusement notées. Dans son four électrique dont elle programme le temps de cuisson, huit à neuf heures, parfois dix, et autant pour la descente, elle enfourne ses poteries lissées par l’émaillage, toujours curieuse du résultat de la transformation de la terre mêlée à l’émail.
Plus elle chemine, plus elle simplifie, se bornant au vert d’eau, au noir, au blanc et au rouge. Parfois, quelques surprises de cuisson surgissent, le noir prend une coloration bleutée, alors qu’elle le souhaite uniforme, le rouge se mouchette d’ocre, plus ou moins, et, dans ce cas, l’artiste en joue.
Sa signature est le modelage, modelage des bols, à paroi simple ou double, qui demande un long travail de lissage, modelage de leur col, creusé de sillons dans l’épaisseur qu’elle isole d’un mélange d’oxydes passés au pinceau, laissant à la terre un aspect brut, modelage de ses coupes carrées reposant sur de petits pieds rectangulaires, coupes de grès noir striées de vagues parallèles produites par scarification de l’engobe qui fond et devient émail.
Maïté Fouquet-Chantoiseau a aussi pratiqué l’art du raku. De petits bols en témoignent, aux aspérités noircies par l’enfumage, ou des colonnes, lustrées de blanc, dont le réseau de fines craquelures dessine un paysage, des chemins qui se croisent et des collines dans les lointains.
Chaque pièce est unique, à l’intérieur même d’un travail de série, selon le modelage, le lissage, l’application des émaux, la position dans le four, la cuisson et la patience du potier. Le moment de la sortie du four est toujours empli d’appréhension, de joie ou de déconvenues. Chaque geste compte et malgré son expérience l’artiste potier n’est pas totalement maître de son art. Sur les pièces qu’elle sort du four peuvent apparaître un éclat inattendu, parfois, sur toute une surface, un coloris nouveau, peut-être exploitable.
Ce que Maïté Fouquet-Chantoiseau aurait voulu parfait garde une trace de cette part d’incontrôlable qui, en retour, donne accès à une beauté vibrante, fragile, à cette beauté humble qu’elle rejoint et qui s’offre au partage.
Françoise Garcia Conservateur en chef honoraire du musée des Beaux-Arts de Bordeaux